Plants and Animals

Le jour où le groupe Plants and Animals a enregistré la pièce titre de son nouvel album était un de ces moments de plus en plus rares où tout le monde semblait regarder la même chose en même temps. Un juge était devant une commission judiciaire. Alors les musiciens ont regardé, eux aussi, sur l’ordinateur portable de quelqu’un dans la pièce à l’avant de l’édifice où se trouve le studio d’enregistrement. C’était fascinant et exaspérant.

Lorsqu’on entre dans le studio lui-même, le son est réduit à néant, car les murs sont couverts de tapis, et on se rappelle l’espace d’un instant qu’un flot d’idées a traversé notre esprit durant toute notre vie. Puis le brouhaha reprend.

Ils sont venus pour tenter de résoudre une ancienne chanson qu’ils avaient composée pour leur album précédent, sans parvenir à la terminer convenablement. Warren a parti un rythme sur un 808. Il a empoigné une basse, Nic a pris une guitare, et ils ont joué des variations. Woody a joué une rythmique motorik. Adèle Trottier-Rivard était avec eux ce jour-là. Elle a chanté et tâté de différents shakers, tandis que Nic manipulait ses pédales de guitare en temps réel avec sa main droite tout en tenant leur bébé de sa main gauche. Les choses se sont emboîtées. Ils ont écrit les paroles immédiatement. Le juge a réussi à se faufiler.

Les membres de Plants and Animals se fient à leur instinct. Ils jouent ensemble depuis 20 ans, alors ils ont pratiquement commencé quand ils étaient enfants. Ils ont joué un rôle crucial dans la renaissance musicale de Montréal au milieu des années 2000, lorsqu’il était impossible de traverser le quartier à 16 h un mardi sans renverser son café sur les jeans étroits d’une figure connue. Ils ont déambulé ici et là en sueur toute la nuit et ont soufflé des bulles sur l’avenue du Parc à partir d’un toit lorsqu’ils ont terminé leur premier album. Ils se sont forgé une réputation en tant que groupe ayant une puissante force de frappe sur scène, ce qui est toujours le cas. Ils ont tout juste mis la touche finale à leur cinquième album. Ils sont maintenant parents, depuis assez longtemps pour avoir outrepassé l’euphorie et avoir atteint une authenticité anxieuse, mais habitée par un amour encore plus grand. Le monde est différent de ce qu’il a déjà été.

« The Jungle » démarre avec une batterie électronique qui sonne comme des insectes la nuit. Tout un univers prend vie dans les ténèbres. C’est beau, complexe et déstabilisant. Systématique et chaotique. Juste de l’instinct, sans plan. Les voix raillent, « yeah yeah yeah ». Ce moment trouble où on remarque sa propre réflexion dans l’ombre.

Chaque chanson est un tel paysage. La première finit abruptement et on devient un gamin qui regarde la lune à travers la fenêtre d’une voiture en se demandant comment elle peut demeurer aussi près alors qu’on file à toute vitesse le long d’une masse floue d’arbres. On voit une maison s’enflammer en tons de jaune, avec des échos du disco étrange de Giorgio Moroder, Donna Summer et David Bowie. On est pilonné par le rythme, puis libéré alors que l’environnement change soudainement — le vent se dissipe, la clarté revient. On est sous un lampadaire de Queens, dans la brume, au ralenti, en train de tomber amoureux. Et on parle maintenant en français, si ce n’était pas déjà le cas. Bienvenue.

Voici des expériences personnelles vécues dans un monde instable, des expériences qui nous renvoient ce monde directement au visage, même par accident. « House on Fire » provient du sentiment persistant que Warren avait qu’un ami qui prenait trop de somnifères pourrait oublier de fermer son four. La chanson a été écrite avant que Greta Thunberg transforme l’expression en cri de ralliement.

Il y a une chanson que Nic chante à son fils adolescent rendu anxieux par les changements climatiques et le passage à une indépendance inexplorée. Le groupe transporte le tout doucement ensemble jusqu’au bleu de l’horizon. Warren a écrit les paroles d’une autre pièce peu après avoir perdu son père. Le thème est que les choses dont on hérite ne sont pas nécessairement les choses qu’on désire. De façon plus générale, c’est la situation dans laquelle se retrouvent beaucoup de gens en ce moment.

Jouer de la musique est leur façon collective de digérer le tout. Plants and Animals est formé de Nicolas Basque, Warren Spicer et Matthew Woodley. The Jungle est leur album le plus court à ce jour, et pourtant, c’est probablement leur plus audacieux. Huit chansons dans un monde plein de vacarme. Il sera lancé en octobre 2020.